Lauréate 2015



Luba Jurgenson
Lauréate 2015 du Prix Valery Larbaud

      « Au lieu du péril » de Luba Jurgenson publié chez Verdier a été couronné le 15 avril 2015 par le Prix littéraire Valery Larbaud.

      Luba Jurgenson, née à Moscou en 1958, est une femme de lettres francophone, d’origine estonienne et de culture russe. En 1975, elle quitte l’URSS et vient s’installer avec sa famille à Paris. Maître de conférences, elle enseigne à l’Université Paris IV-Sorbonne et codirige la collection de littérature russe Poustiaki aux éditions Verdier. Traductrice notamment d’Ivan Gontcharov, de Nina Berberova ou dernièrement de Leonid Guirchovitch pour « Meurtre sur la plage » (Verdier, 2015), elle est le maître d’œuvre de l’édition complète des « Récits de la Kolyma » de Varlam Chalamov (Verdier, 2003). Luba Jurgenson écrit également des nouvelles, des romans et des essais en français. Parmi les derniers titres à son actif : « Création et tyrannie » (Sulliver, 2009) et « Trois contes allemands » (Pierre-Guillaumin de Roux, 2012).

      Dans « Au lieu du péril », Luba Jurgenson se penche sur la coexistence des deux langues en elle : comment vit-on, pense-t-on et écrit-on dans une langue qui n’est pas sa langue natale ?

      Le bilinguisme attend son chroniqueur, un chroniqueur terre à terre, qui suivra pas à pas les indices corporels du décentrement. C’est la tâche que l’auteur se donne ici : traquer les signes physiques, le tracé palpable de cet hébergement réciproque.

      Il s’agit donc d’un reportage. Mais la matière qu’elle cherche à décrire est également celle dont elle se sert pour la décrire. C’est comme raconter un incendie avec du feu. Le musicien vous parlera de son instrument, le tailleur, l’ébéniste, le cordonnier, le jardinier, le marin – tous auront des choses à raconter en rapport avec leurs outils et la matière qu’ils travaillent. Pour l’écrivain, l’outil et la matière sont une seule et même chose. La matière de la langue est travaillée avec l’outil de la langue.

     L'écrivain façonne lui-même son instrument, chevillé à son corps. En parler, c'est mettre en scène son corps qui écrit. Le bilingue écrivant utilise des outils à double tranchant. Le but de ce livre, c'est de les voir à l’œuvre.

     On croit "se servir" de la langue comme on croit que le soleil tourne autour de la terre. En réalité, elle se sert de nous pour vivre et évoluer. Nous sommes son instrument et elle nous façonne en se laissant façonner par nous. Nous sommes sa matière qu'elle travaille tout en se laissant travailler.

     Dans une vie vouée à questionner le langage, il arrive un moment où il devient urgent de faire place à ce qui constitue le corps du langage : la langue.

     Ce livre n'est pas un retour sur soi, mais une coupe transversale qui se dit la plupart du temps en récits, en anecdotes - en situations. Il s'ouvre sur le témoignage d'une expérience singulière, en montagne, qui s'achève sur un constat : "Au lieu du péril, croît aussi ce qui sauve."